Presque inconnu en France, Walter Molino a été un grand illustrateur et je pense que certains d’entre vous seront intéressés de voir quelques échantillons de son œuvre.
Avant de créer Virus, il avait déjà derrière lui un long passé d’illustrateur. Né en 1915 à Reggio Emilia, Molino dessine très jeune des caricatures ou des illustrations dans des journaux estudiantins. Dès l’âge de 15 ans, il est engagé par les frères Del Ducca et il commence à apprendre son métier sur le terrain. Il réalise toutes sortes de travaux graphiques dans les publications du groupe et semble ensuite privilégier la bande dessinée. Sa première BD, qui date en 1932, s’intitule Ruello puis il dessine de nombreuses séries dans l’Intrepido ou Il Monelo à partir de 1935 (il serait fastidieux d’en énumérer tous les titres). Lorsqu’il change d’éditeur en 1937 pour créer Zorro dans Paperino, son style est déjà bien affirmé.
Zorro a été repris en album en Italie dans les années 70, tout comme Kit Carson que Molino publie en 1939 dans Paperino sur des scénarios de Pedrochi, (cette série avait été créée par Rino Albertarelli). Ce Kit Carson a été traduit en français et on peut trouver ses histoires dans Robinson, puis dans les Cahiers d’Ulysse et les Sélections Prouesse, journaux périodiques qui sont aujourd’hui presque introuvables et fort coûteux. Ce western a aussi été repris dans le petit format Au Galop qui, il faut l’admettre, n’est guère plus facile à trouver.
Vers la fin des années 30, Molino dessine quelques séries qui gardent un certain prestige auprès des bédéphiles italiens, et certaines d’entre elles ont eu droit à un album. Mentionnons Il Corsaro nero dans Paperino, Luciano Serra Pilota, adaptation d’un film à succès de cette époque, la compagnia dei sette ou Capitan l’Audace qu’il dessine dans l’Audace (justement) puis dans Paperino. On peut découvrir quelques exemples de toute cette production dans une page du blog LELE COLLEZIONISTA LIBRI E FUMETTI.
Malgré ses multiples BD, Walter Molino fait quelques travaux dans l’illustration ou la publicité. Sa production d’avant-guerre reste mal connue mais on trouve parfois quelques images sur le Web, comme cette lithographie dessinée en 1938.
C’est avec ce curriculum déjà impressionnant que Molino dessine Virus en 1939. Ce titre reste aujourd’hui son œuvre la plus prestigieuse et j’en ai déjà détaillé les parutions francophones. Dans un article publié dans Hop (N° 66), Ange Tomaselli dénonce le « triturage » de cette BD lors de son adaptation en français mais il est difficile pour moi de le confirmer car en contemplant cet extrait de Pôle V (le deuxième épisode de Virus) publié dans Topolino, je n’ai pas trouvé de grande différence avec les images parues dans Hardi les gars.
Virus a été réédité en Italie sous la forme d’albums à petit tirage. Voici par exemple la couverture d’un de ces recueils de 1988, publié par le « Club Ani Trenta ».
Pendant la deuxième guerre mondiale, Molino continue à faire des BD mais un tournant survient dans sa carrière. En 1941, le Domenica Del Corrierre l’engage comme successeur d’Achille Beltrame pour dessiner la première page du journal et cette activité va peu à peu devenir prépondérante. Dans l’obligation d’illustrer chaque semaine un événement tiré de l’actualité, il développe un style réaliste assez proche de la photographie mais son graphisme reste dynamique. Son habileté à mettre en image des sujets très variés, de même que l’élégance de son dessin, va rapidement l’imposer à cette place que Molino va garder jusqu’aux années 70. Cette revue lui apporte une véritable notoriété en Italie où il considéré comme une sorte de Norman Rockwell. Voici par exemple une image d’actualité publiée en 1941, de nature essentiellement politique (cliquer sur l’image pour agrandir).
Molino parait aussi à l’aise en dessinant les événements officiels qu’en illustrant des anecdotes ou des catastrophes. Regardez par exemple cette couverture de 1957 qui relate de façon spectaculaire un accident de l’époque.
Si certaines premières pages peuvent aujourd’hui paraître banales, la plupart d’entre elles frappent par leur théâtralité. Molino sait aussi composer des portraits raffinés de personnages célèbres tels que le cycliste Fausto Coppi ou le pape Jean XXIII (ces images semblent avoir été fameuses). D’autres tableaux sont plus difficilement compréhensibles, comme par exemple cette couverture de 1962 dont il m’est difficile d’appréhender le sens exact.
L’exploration de ces illustrations du Domenica Del Corriere est passionnante et les amateurs en découvriront d’autres sur le blog ou le site du journal. Il semble que Molino ait également travaillé pendant 25 ans pour le Corriere Della Serra mais je n’en ai pas d’image. Par ailleurs, il retourne en 1946 chez Del Ducca qui édite Grand Hôtel, un magazine de la presse du cœur. Molino y signe de nombreuses couvertures en adoptant les pseudonymes de J.W. Symes ou de Sten.
Devant le succès de Grand Hôtel, Del Ducca réutilise en France la même formule en créant le journal Nous Deux. De nombreuses couvertures de ce magazine bien connu sont signées par Molino.
Dans les premiers numéros de Grand Hôtel, Molino dessine aussi quelques histoires sentimentales qui prouvent une belle maîtrise du lavis. Ces BD sont toutefois rapidement remplacées par des romans-photos dont la production est plus facile. Comme Nous Deux reprenait le matériel de Grand Hôtel, je me demande si l’Impossibile Vendetta (il faut cliquer sur l’image ci-dessous pour voir la planche entière) a également été traduite dans notre langue.
Ce travail pour la presse du cœur l’amène aussi à dessiner des illustrations de romans sentimentaux. On y remarque à nouveau une utilisation magistrale du lavis, même si elle est mise au service d’une esthétique surannée.
Il serait toutefois injuste de réduire l’œuvre de Walter Molino à cette imagerie conventionnelle. Il est capable de maîtriser toutes les facettes du dessin et c’est ainsi qu’il réalise de nombreuses caricatures pour le journal satyrique Bertoldo. Regardez de quelle manière il « croque » la célèbre Greta Garbo.
Sa technique varie selon les sujets et il alterne le trait, les crayonnés ou le lavis. Voici par exemple un crayonné à la fois rapide et féroce, trouvé jadis sur le Web et dont il j’ai malheureusement oublié de noter l’origine.
Le caractère orné et académique de ses couvertures a bien sûr entraîné de nombreuses commandes publicitaires. Molino sait créer une ambiance en une seule image, comme par exemple dans cette couverture pour un roman féminin.
Devant cet afflux de travaux graphiques, sa production de bandes dessinée se réduit lors de l’après-guerre. En 1945, il laisse Virus à Antonio Canale et dessine Dinamite pour le journal éponyme, un western qui sera traduit ultérieurement dans le petit format français Pluto. L’année suivante, il dessine des adaptations de romans pour l’hebdomadaire Salgari et certaines de ces histoires peuvent être retrouvées dans Gong, Targa ou Hardi les Gars. A partir des années 50, Molino s’éloigne de l’art séquentiel et ne réalise plus que des illustrations. Sa signature apparait partout et c’est ainsi qu’on la retrouve sur des couvertures de disque…
… dans des travaux publicitaires …
… ou dans de luxueuses éditions de livres illustrés.
Au cours des années 60, il dessine aussi des couvertures pour les petits formats. Certaines d'entre elles auraient été créées pour les fascicules érotiques publiés chez Elvifrance, mais je n'ai pas trouvé d'image à l'origine certaine
Pendant les années 70, il est devenu célèbre et certaines de ses BD sont rééditées. Des expositions célèbrent son œuvre et quelques catalogues sont parus en Italie mais je n’en connais bien sûr que des couvertures.
J’arrête là cet inventaire qui est bien sûr incomplet et qui vous laisse peut être un léger sentiment de frustration. Il n’existe malheureusement par de livre ni de site de référence à vous recommander et son œuvre graphique reste éparpillée dans de multiples publications. Pour écrire ce billet, je me suis fondé sur le petit article nécrologique publié dans Hop N° 78 et j'ai bêtement récolté quelques images grâce à Google. Il faut cependant signaler la page richement illustrée de COMICSANDO qui vous donnera quelques informations complémentaires, de même que celle de LELE COLLEZIONISTA LIBRI E FUMETTI, qui a déjà été mentionnée. Une petite interview peut être vue sur le site de la RAI, mais le site le plus intéressant est sans aucun doute celui d' ILLUSTRATED HISTORY qui contient de multiples images de couvertures du Domenica del Corriere. C'est bien peu mais sait on jamais, peut être qu’un jour un éditeur cherchera à présenter toutes ces images dans le recueil luxueux qu’elles méritent ?