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Les critiques de mes meilleurs albums BD, racontées par l'image

S.O.S. Bagarreur par René Follet et Maurice Tillieux (1)

La fascination de Tillieux pour le monde maritime a déjà largement été commentée. Dans le numéro 1615 du journal Spirou, l’auteur raconte comment il a essayé sans succès de s’engager dans la marine pendant sa jeunesse, la guerre ayant contrarié sa vocation. Son premier livre (Le navire qui tuait ses capitaines) puis certaines de ses séries (Bob Bang) lui ont permis de retrouver de façon imaginaire le monde des marins, et ses meilleures BD utilisent par ailleurs souvent l’ambiance mystérieuse des ports ou des bords de mer.

 

C’est en 1968 que Tillieux écrit S.O.S Bagarreur pour le journal Spirou. A cette époque, il dessine encore Gil Jourdan, mais sa carrière est en train de prendre un tournant et dès 1970, il ne fera plus que des scénarios. Pour dessiner cette aventure d'Alain Brisant, Tillieux choisit René Follet qui est encore un inconnu, bien qu’il ait déjà derrière lui une longue carrière d’illustrateur, car ses seules références en BD sont quelques récits complets dessinés dans les années 50 (sous le nom de REF) et une expérience comme assistant de Mitacq ou de Vance.  Après sa publication dans le journal, Alain Brisant est abandonné à cause d'un succès insuffisant, et ce n'est qu'en 1984 que cette histoire est reprise en album. 

Le récit commence dans le port de Boulogne, où Alain Brisant vient d’être engagé par une compagnie de sauvetage maritime. C’est un marin expérimenté, à l’esprit vif et aux réparties mordantes. Il prend son poste de second à bord du « Bagarreur », un remorqueur dirigé par le capitaine Fernay. Le premier contact entre eux se révèle glacial.

 Venant de Brest, Brisant est accueilli tout aussi fraîchement par l’équipage, mais il ne se laisse pas intimider. C’est alors que deux bateaux entrent en collision dans la Manche et lancent un appel au secours. Le Bagarreur part aussitôt vers le large.

 La tempête rend la navigation périlleuse. Le capitaine du cargo panaméen « Condor » envoie des messages répétés de détresse, alors que le Bagarreur tangue et progresse difficilement.

 

Le remorqueur arrive finalement près du cargo dont l’équipage est paniqué. Comme aucun matelot ne veut saisir la remorque que lance le Bagarreur, Alain Brisant prend le risque de sauter sur le cargo en profitant du mouvement ascendant d’une vague.

 Brisant secoue l’équipage qui finit par arrimer le câble, et le remorquage commence. Lorsqu’il retourne sur le Bagarreur, Brisant reçoit des reproches pour sa témérité excessive.

Les marins du Condor, toujours aussi effrayés, veulent quitter le cargo. Ils posent une chaloupe à la mer et neuf hommes y prennent place. Ils rament pour rejoindre le remorqueur et le Bagarreur doit abandonner sa remorque pour les attendre.

 Au moment où le canot arrive près du Bagarreur, il est renversé par une déferlante et les occupants sont engloutis sous les flots. Seul un chien surnage,  et Brisant saute à la met pour le sauver. Cet exploit dérisoire met à nouveau Fernay en colère.

Une nouvelle remorque est lancée au Condor et le voyage reprend. Un nouvel adversaire arrive alors sur les lieux. Il s’agit d’un remorqueur anglais, le Dragon Fly, dirigé par le capitaine Moose. Ce dernier décide de s’approprier le sauvetage en coupant la remorque du Bagarreur.

Le Dragon Fly heurte la remorque qui se brise, mais celle-ci s’enroule autour de l’hélice de l’anglais qui se trouve pris au piège. Il part à la dérive en direction des récifs, et Fernay ne manifeste aucune intention de l’aider. Brisant assomme alors son capitaine et prend la direction de la manœuvre. Il relâche le Condor et lance un câble pour sauver le Dragon Fly, puis l’anglais lance à son tour une remorque au cargo. Lorsque Fernay reprend connaissance, il constate le double remorquage, et reprend la direction du navire sans faire de commentaire.

Les trois bateaux se rapprochent de Boulogne, mais le Dragon Fly réussit à réparer son hélice et commence à son tour à remorquer le cargo. Fernay appréhende un nouveau coup de Jarnac.

 Le capitaine Moose n’a plus toutefois d’intention malveillante. Arrivé à Boulogne, il abandonne le remorquage et repart vers le large, laissant la prime entière au Bagarreur.

Une fois à bon port. Fernay et Brisant s’expliquent. Ils s’insultent, puis éclatent de rire, et Fernay  demande à son second de rester. Un coup de poing au visage de Brisant permettra de  solder le contentieux.

Dans la préface de l’album, paru tardivement en 1985, Thierry Maertens annonce « un grand récit presque documentaire », où des « marins de tous les jours font leur travail de routine, au milieu de la furie des éléments magistralement dépeints par René Follet ». Telle est l’interprétation officielle de cette histoire.

 

En relisant cette intrigue riche en péripéties, on découvre un récit d’aventure plutôt que la mission de routine d’un remorqueur. L’histoire est dense et Tillieux ne lésine pas avec les moyens. Les accidents et les obstacles s’accumulent en un temps record pour le Bagarreur, et l’expédition se termine avec un bilan de neuf morts. Alain Brisant accomplit par ailleurs des exploits hautement improbables, en sautant par exemple d’un bateau sur un autre (en profitant de la soudaine surélévation de son bateau par une vague) ce qui évoque les cascades irréalistes de certains films d’action actuels. De même, je ne crois pas qu’il soit possible repêcher avec une gaffe un homme tombé à la mer (sans gilet) pendant une tempête, car le bateau ne peut pas manœuvrer efficacement dans ces circonstances et la victime succombe rapidement dans l’eau froide. Le récit n’est donc pas vraiment réaliste, mais ces invraisemblances ont peu d’importance car Tillieux nous propose une fiction, ou plutôt un « thriller » bien construit qui nous fait oublier les limites du réel. Il obtient ce résultat en mélangeant astucieusement exploits et événements ordinaires. C’est ainsi qu’il commence par quelques scènes de navigation difficile, et la séquence ci-dessous (non reprise dans l’album) nous plonge dans l’ambiance, en montrant la lutte des marins contre l’océan déchaîné.

  S.O.S Bagarreur n’est pas un récit documentaire, mais c’est une histoire bien documentée. On y trouve peut être quelques souvenirs maritimes personnels de Tillieux, mais il s’appuie surtout sur un repérage soigneux des lieux de l’action. Dans une interview donnée à DBD (N° 3) en 1999, René Follet précise qu’il s’est rendu deux fois à Boulogne et à Dunkerque en compagnie de Tillieux, en ajoutant qu’ils sont grimpés à bord d’un remorqueur et qu’ils ont même fait le tour du port après avoir sympathisé avec l’équipage. Ce travail d’enquête inspire aussi bien le scénariste que le dessinateur qui intègre de multiples détails véridiques dans ses images. Et puis, il y a aussi un probable héritage littéraire, car je suis frappé par les nombreuses ressemblances de  S.O.S Bagarreur avec Remorques, le roman de Roger Vercel écrit 30 ans plus tôt (à l'origine d'un film tourné par Jean Grémillon et interprété par Jean Gabin et Michèle Morgan en 1939). On ne peut pas parler de plagiat, car les intrigues principales ne sont pas les mêmes, mais on retrouve dans les deux livres le capitaine taciturne et pénétré du sens du devoir, l’équipage soudé autour de lui, la loi du « no cure no pay », la lutte féroce pour remporter la prime de sauvetage, le cargo étranger dont le capitaine froussard envoie des S.O.S. aussi répétés qu’inutiles, l’équipage incompétent et incapable d’arrimer la remorque, l’illogique et dangereuse mise à la mer d’une chaloupe par le matelots paniqués (alors que le cargo ne risque aucun naufrage), le marin perfide qui fait casser la remorque par appât du gain… et j’en passe. Je ne suis pas vraiment certain que Tillieux ait lu Remorques, mais ces coïncidences sont bien troublantes. Il faut bien sûr relever l’ambiance différente des deux livres, car Vercel décrit le drame intime d’un capitaine dont l’épouse est malade et qui ne sait comment se détacher de son métier, alors que Tillieux raconte de façon optimiste l’affrontement viril de marins qui surmontent de nombreux obstacles et qui deviennent des amis. Peut on considérer le récit maritime comme une littérature de genre ? Je n'ai pas de réponse certaine, mais en tout cas, le scénariste a utilisé avec intelligence divers ingrédients pour écrire S.O.S. Bagarreur.


suite

 

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M
<br /> Lorsqu'on regarde des planches originales de FOLLET on se rend compte combien son dessin fabuleux et son sens du mouvement ont été gachés par des mises en couleurs douteuses. Si le premier album de<br /> VALHARDi réalisé par FOLLET et scénarisé par DUCHATEAU est plutot de bonne facture , le second "Un gosse à abattre" est complètement raté, et ce n'est aps un hasard si les éditions DUPUIS ont<br /> souhaité mettre un terme à la série. Ne pas avoir travaillé avec de grands scénaristes explique très largement pourquoi FOLLET n'a jamais réalisé d'albums marquant dans le monde de la BD et<br /> pourquoi sa carrière a été si confidentielle. Un vrai gachis<br /> <br /> <br />
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F
On retrouve également une belle séquence avec des eaux déchainées dans l'album "Les ors du caucase", 2eme aventure de "Ivan Zourine"... ;)
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R
Il y a bien longtemps que je n'ai pas lu les Valahardi de Follet, et je suis bien incapable de les commenter. Par contre, je relis de temps en temps ceux de Jijé, car ils ont quelque chose qui me fait rêver.<br /> <br /> Ce qui m'amuse en revoyant ma chronique, c'est de découvrir à quel point les vignettes de Follet sont splendides. Ce n'est pas toujours évident quand on les voit dans l'album. Avec un format de 4 bandes par page et des couleurs uniformément lourdes sur toutes les pages, beaucoup d'images sont "écrasées", si j'ose dire. En tout cas, elles passent relativement inaperçues.
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D
jamais lu «le naufrageur» mais je me rappelle d'«un gosse à abattre» avec follet que j'avais lu dans spirou à l'époque, avec des eaux bien déchaînées et des cadrages moins classiques. d'ailleurs, à l'époque le dessin «réaliste» me rebutait au plus haut point mais j'étais malgré tout fasciné par le coup de patte de follet, allez savoir pourquoi.
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T
De mémoire, il y a aussi "Le Naufrageur aux yeux vides" (Valhardi, avec Duchâteau) où René Follet nous balance de beaux paquets de mer à la figure !
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