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Les critiques de mes meilleurs albums BD, racontées par l'image

Bran Ruz par Auclair et Deschamps (1)

On croit parfois avoir de bonnes idées, mais à l’usage, elles peuvent se révéler encombrantes. C’est ainsi qu’au moment de partir en vacances en Bretagne, j’ai pensé qu’il était ingénieux d’emporter une BD régionale, pour mieux la découvrir sur place. Mon choix s’est porté sur Bran Ruz, album historique qui m’avait laissé un souvenir ébloui, mais … on devrait toujours se méfier de ses souvenirs. Depuis cet été, je suis embarrassé par ce livre imposant, et après plusieurs lectures agacées et réflexions perplexes, j’ai essayé de remettre en ordre mes tergiversations pour composer cette chronique.

A l’extrémité du Finistère, la côte domine l’océan et les falaises sont balayées par la mer et le vent. On y trouve une jolie petite plage entre la pointe du Raz et la pointe du Van, qui est fréquentée par les baigneurs et les amateurs de planche à voile. Cet endroit se nomme la Baie des Trépassés, peut être en souvenir du cataclysme qui a englouti la ville d’Ys (il faut cependant signaler que la tradition la situe dans la baie de Douarnenez). C’est là que j'ai passé mes vacances, et c'est également au bord cette côte sauvage qu’Auclair fait débuter son récit, en dessinant une nuit de tempête.

 Dans un village des monts d’Arrhée, en 1980, les habitants se réunissent pour un « fest-noz ». Deux chanteurs y entament un « Kan Ha Diskan », sorte de chanson à multiples couplets qui nous raconte la légende du roi Gradlon.

 Leur chant nous ramène au cinquième siècle, peu après l’invasion de l’Armorique par les Bretons. Au bord de l’océan, une tribu celte favorise le naufrage d’un navire en perdition.

C’est chez ces naufrageurs que vit le « rouge », un enfant solitaire qui ne s’appelle pas encore Bran Ruz. Il est considéré comme un idiot, et se réfugie souvent sur la falaise au bord de l’océan. De là, il contemple la lointaine ville d’Ys.

 Rejeté par les siens, l’enfant roux se réfugie dans la nature sauvage. Il contemple le ciel, la plage et les oiseaux. Tenaillé par la faim, il attrape un poisson, mais tout à coup sa proie l’interpelle.

Le « rouge » relâche cette créature qui est en fait un dieu vivant. Ce roi des poissons lui offre le pouvoir de sentir la vie des plantes, de voir avec les yeux des mouettes et de parler aux animaux. Riche de cette nouvelle puissance, l’enfant part à la conquête de la cité de ses rêves.

 Dès lors, l’histoire du « rouge » se confond celle de la ville d’Ys. Après quelques péripéties, l’enfant roux devient l’époux de la princesse Dahud et prend le nom de Bran Ruz. Il rejoint ensuite le peuple de la vieille Armorique pour s’opposer à la tyrannie des celtes chrétiens. Il affronte Gradlon en combat singulier, et l’enfant persécuté se transforme en guerrier triomphant. Bran Ruz devient le maître de la ville d’Ys, mais son règne va être bref. Le prêtre Guénolé, qui refuse d’accepter un retour au paganisme, envoie un commando pendant la nuit pour assassiner les gardes et ouvrir les vannes qui protègent Ys de l’océan. Bran Ruz, Dahud et tous les habitants de la ville disparaissent dans les flots

Cette histoire est parue en épisodes dans  A Suivre entre 1978 et 1980. Ce journal mensuel voulait remplacer la traditionnelle série centrée autour d’un héros par une nouvelle formule, le roman en bandes dessinées. Ce concept commercial  a stimulé l’ardeur de Claude Auclair qui s’est emparé avec vigueur de ce nouvel espace créatif. Il a conçu un récit de grande ampleur, destiné aux adultes, et s’est associé avec un nouveau scénariste, Alain Deschamps. Ensemble, ils ont élaboré une œuvre ambitieuse, en rassemblant plusieurs thèmes qui leur tenaient à cœur tels que la culture celtique, la révision de l’histoire officielle, la défense des traditions populaires et la lutte contre une politique centralisée. Cinq ans de travail leur ont été nécessaires avant d'aboutir à la publication de Bran Ruz en album.

 

La légende classique raconte que la ville d’Ys s’enfonçait lentement dans la mer, et qu’une haute digue empêchait l’eau d’y pénétrer pendant les marées. Une grande porte en bronze permettait de fermer les remparts, et seul le roi Gradlon en possédait la clé. Dahud, sa fille, était une débauchée qui organisait des orgies, malgré les sermons de Saint-Guénolé, et Dieu décida finalement de la punir. Un soir, un mystérieux cavalier arriva dans la ville. Après avoir séduit la princesse, il lui demanda d’apporter la clé qui se trouvait au cou de Gradlon. Dahud alla donc voler cette clé pendant le sommeil de son père, puis le diable ouvrit la grande porte de la cité, permettant à la tempête d’y pénétrer et d’engloutir toute la population.

 

Auclair et son scénariste adaptent cette légende en inversant sa perspective morale. Ils transforment les rôles des personnages, et Dahud devient ainsi une héroïne de la cause armoricaine, qui lutte contre la dictature des envahisseurs chrétiens. Fille d’une magicienne, elle est d’abord amoureuse de son père et cherche à l’influencer pour lutter contre Guénolé. Cet amour les conduit à l’inceste et lorsque Dahud tombe enceinte, il faut lui trouver un mari. C’est ainsi qu’elle rencontre Bran Ruz, frêle adolescent qu’elle finit par aimer. Elle vit de spectaculaires retournements amoureux, mais cette femme passionnée défend toujours la même cause. C’est une militante qui lutte avant tout contre les prêtres, et qui défend la vieille religion païenne. Ce personnage fier devient par moment la voix de la Bretagne, et si le caractère de Dahud reste crédible, elle ressemble parfois davantage à une icône qu’à un personnage vivant.

 Le roi Gradlon est un conquérant prestigieux, mais ce soldat est partagé entre sa mission de défendre la chrétienté et son amour pour sa fille Dahud. Il se montre indécis et finit par être dominé par les religieux, en particulier Guénolé qui n’hésite pas à l’invectiver. Le portrait de ce roi légendaire est composé avec finesse et nuance, et les auteurs ne cherchent pas à arranger ce personnage trop humain. Gradlon se comporte avec dignité, même lorsqu’il perd son titre de roi, et c’est lui qui est finalement le plus touchant dans cette histoire.

 L’évêque Kawrentin (Saint Corentin) et le moine Guénolé (Saint Guénolé) sont les évangélisateurs historiques de la Bretagne. Les portraits composés par Deschamps et Auclair sont ambigus, en particulier celui de Guénolé qui se montre prêt à tout pour faire triompher le christianisme. Ce fanatique cite à tout moment des extraits de la Bible, mais dans sa bouche, ce discours prend les accents de la haine.

 Et puis il y a ce personnage principal dont la conception ne me semble pas vraiment réussie. Bran Ruz est d’abord un enfant persécuté, et ce portrait initial reste simple et crédible. On pouvait attendre que son caractère change après l'acquisition d'un pouvoir magique, mais il ne l’utilise finalement pas beaucoup. Sa rencontre avec un fantasmatique roi des poissons lui donne une nouvelle assurance mais son ascension sociale est plutôt liée à la chance. Sa personnalité reste mal définie et Bran Ruz est surtout balloté entre des puissances qu’il ne maitrise pas. Une fois marié à Dahud, il devient un guerrier redoutable, et cette transformation rapide est aussi surprenante que peu convaincante. On peut supposer que ce personnage résulte de la synthèse de plusieurs intentions, et d’abord de la nécessité de trouver un héros breton. Bran Ruz est surtout un personnage programmatique avec sa chevelure rousse (qui l’identifie à un réprouvé), son destin tragique (il meurt à cause d’une trahison), sa capacité d’être en communion avec la terre, et sa lutte contre l’intolérance chrétienne. Il concrétise le message politique des auteurs, mais je trouve qu’il manque de chair et d’épaisseur psychologique. Il peut être un amant convenable pour la princesse Dahud mais il est un piètre héros dans sa lutte contre les chrétiens, et les auteurs ont mieux conçu leur fresque historique que la psychologie de leur personnage. Avant d’être englouti dans les flots, Bran Ruz exprime sa colère de façon théâtrale et ce dernier message, aussi bien que son ton prophétique, me parait bien artificiel.

La suite dans deux jours. Merci de votre patience !

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R
Merci de ton message :-)<br /> Je te confirme que dans le N°1 de A Suivre, le premier chapitre de Bran Ruz a été publié avec un texte en breton. La traduction française était apportée dans une page supplémentaire qui suivait ce premier chapitre. Cela avait créé un petit scandale.<br /> D'ailleurs, l'image scannée avec un langage breton provient justement de ce premier numéro de A Suivre.<br /> Pour ma part, j'avais un excellent souvenir de Bran Ruz, car j'ai été séduit par cette reconstitution historique de l'ancienne Bretagne. Ce n'est que récemment, en relisant devenu ennuyeux.
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B
Raymond > Je suis étonné quand tu dis que le premier chapitre dans "a suivre" était en breton. J'ai lu l'histoire à l'époque, et je n'ai aucun souvenir de cette particularité. J'm'en vais replonger dans la chose par curiosité. Sinon, c'est une BD que j'ai eu du mal à lire à l'époque: le graphisme ne me déplaisait ni ne me transcendait, mais j'ai le souvenir d'avoir trouvé l'histoire assez indigeste. Faudrait peut-être que je la relise, pour voir. Je crois bien que je la lisais en dernier dans "a suivre" (comme l'oncle Paul dans Spirou, quand j'avais "épongé" toutes les autres belles histoires plus attrayantes :-))
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