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9 juillet 2008 3 09 /07 /juillet /2008 00:01

Ce n’est pas à la mode d’apprécier les récits d’aviation de Jean-Michel Charlier et Victor Hubinon, mais je dois l’avouer, Buck Danny a été une de grandes lectures de mon enfance. Je lis moins leurs albums depuis que j’ai atteint l’âge adulte, mais de temps en temps, j’ai du plaisir à  redécouvrir ces histoires simples et enthousiastes.

 

La vie de Mermoz, héros de l’aviation postale du XXème siècle, a été souvent racontée, mais la biographie de Joseph Kessel, publiée peu après la mort de l’aviateur, est longtemps restée la référence absolue.  La BD s’est aussi intéressée à cette histoire, et un  premier album a été dessiné en 1939 par Jean Rigot (mais je n’en ai aucune image). Il y a eu quelques récits complets dans le journal Tintin (par Laroche en 1954, puis Graton en 1956) mais c’est surtout l’album de Jean-Michel-Charlier et Victor Hubinon, édité en 1955, qui va marquer les esprits.
Par la suite, il n’y aura pas d’œuvre marquante jusqu’à la publication en 1989 du « Mermoz » d’Attilio Micheluzzi. J’ai découvert par hasard ce livre remarquablement documenté, mais sa lecture ne m’a pas apporté autant de plaisir que l’album de Charlier & Hubinon. Ce paradoxe méritait un développement  plus ample, que je vais essayer d’illustrer par des exemples précis.

Précisons d’abord que bien Micheluzzi aussi bien que Jean-Michel Charlier utilisent comme source principale le livre de Kessel. Cette référence est clairement annoncée par Micheluzzi, et elle est transparente dans le scénario de Charlier. Leurs récits suivent  en parallèle la même trame, mais j’ai été intéressé par certaines différences révélatrices. Il est clair que la BD est devenue plus adulte pendant les 30 années qui séparent ces 2 livres, et qu’elle se permet aujourd'hui plus d’audaces. Il n’est pas certain toutefois que l’art de la séquence d’images ait fait les mêmes progrès.

 

Pour commencer, comparons la manière avec laquelle les auteurs introduisent leur récit. Micheluzzi emploie une image unique sur la première page, présentant Joseph Kessel lui-même. Le journaliste commente la vie de Mermoz, et cette vignette dévoile le souci de précision de Micheluzzi, la clarté de ses sources, le ton nostalgique de son livre, et sa passion de l’âge héroïque de l’aviation.

 Jean-Michel Charlier commence par un événement survenu lors de l’enfance de l’aviateur. Mermoz assiste à un meeting d’aviation en 1913, mais il reste imperturbable face aux exploits qui enflamment le public, et finit par déclarer qu’il ne pilotera jamais ces appareils. J’ignore si cette anecdote est exacte, mais on y reconnaît  la patte d’un grand scénariste, car cette suite de vignettes compose un récit vivant et ironique. Charlier nous présente un personnage simple et bien typé, presque familier, et il définit aussi l’enjeu (la passion de l’aéronautique) qui va dominer toute sa vie. Aucun romancier ne pourrait mieux faire.

 La deuxième séquence concerne cette fois les débuts de Mermoz à l’école d’aviation. Les deux récits racontent exactement la même chose, mais leur style diffère notablement. Micheluzzi met en scène un adjudant qui admoneste les recrues, et les images ne font qu’illustrer un long commentaire. Ce n’est d’ailleurs qu’après une relecture attentive que l’on réalise que la suite du discours provient de la bouche de Mermoz.

Avec Charlier, on retrouve l’adjudant qui vocifère, mais les vignettes suivantes présentent un dialogue entre Mermoz et un de ses condisciples. Les informations ne proviennent pas d’un récitatif ou d’un monologue, mais d’un échange dynamique entre les personnages. On remarque donc que lorsque Micheluzzi commente des illustrations, Charlier préfère composer une courte séquence narrative.

Passons à l’épisode suivant. Mermoz finit son école militaire, et il est affecté à Palmyre. Il y  réalise un premier exploit, mais il tombe malade et doit être rapatrié en France. Sa vie y devient dissolue, et Micheluzzi ne nous cache aucun détail. Alcool, femmes et bagarres rythment son existence, avant que l’aviateur soit affecté à Nancy et qu’il se heurte une fois de plus à la discipline militaire. Micheluzzi raconte avec précision ces événements peu glorieux, avec le souci de bien comprendre son personnage.

De son côté, Jean-Michel Charlier préfère remontrer son héros en face d’un officier militaire borné. La situation est dramatique, mais Charlier privilégie l’humour de la situation en exposant le ridicule  et l’impuissance du petit lieutenant face à la vitalité de ses hommes. Cette scène apporte un agréable contrepoint humoristique après une première succession d’exploits, et peu importe au fond son authenticité. Plus qu’à l’homme lui-même, Charlier s’intéresse à une légende et il cherche avec malice à nous la rendre crédible.

Autre épisode révélateur : le mariage de Mermoz. Dans les deux albums, l’événement n’est relaté qu’avec une seule image. On sait peu de chose, en fait, de cette épouse, et Micheluzzi illustre ce mariage de façon classique.

 Charlier et Hubinon mentionnent rapidement ce mariage, et préfèrent nous montrer une image d’avion.

S’agit-il d’un effet de la censure française (qui n’était pas tendre avec les publications belges dans les années 50) ou d’un simple désintérêt du monde féminin ? La réponse est incertaine, mais ce détail nous montre à quel point que les 2 livres appartiennent à des mondes différents.

  suite

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commentaires

R
Je suis d'accord, Micheluzzi a un style qui lui est propre, et il ne peut au fond représenter que lui-même. Il m'a semblé correct de le considérer comme un auteur qui s'adresse à des adultes, car il dessine une biographie sérieuse et très documentée. Il faut avouer que Mermoz n'est pas sa meilleure production, et j'ai préféré par exemple Marcel Labrume ou Air Mail.<br /> Quant à Charlier, il est manifeste qu'il raconte une histoire pour les enfants (petits et grands). <br /> La logique de cette comparaison, c'est de montrer certaines qualités (ou défauts) de ces auteurs, puisqu'ils racontent la même chose, en partant du même livre
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L
Comparer les narrations de Micheluzzi et Charlier est un peu étrange. Surtout que le premier n'est pas vraiment représentatif d'une quelconque période moderne. Comme il est suggéré, Micheluzzi a du mal à suivre ses personnages (on les voit, ils disparaissent, il y a des dialogues off, des gros plans graphiques) qui m'ont toujours laissé un peu perplexe.
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