Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
13 juillet 2008 7 13 /07 /juillet /2008 12:22

Après cette anecdote sur le mariage, il est tout aussi intéressant de relever ce que les auteurs choisissent de raconter ensuite. Micheluzzi détaille de façon presque exhaustive les entreprises de Mermoz, qu’il accompagne de simples illustrations.

Jean-Michel Charlier préfère raconter une scène d’action. Mermoz essaie un nouveau prototype d’avion, et cette page permet à Victor Hubinon de montrer tout son talent. L’avion part dans une vrille mortelle, et les images se succèdent de façon descendante, en donnant une belle sensation de chute.

 

Certains critiques ont reproché au dessin d’Hubinon une certaine raideur, et cette remarque peut être fondée en regardant isolément une image. Elle perd toute pertinence lorsqu’on considère la succession de dessins, car Hubinon sait varier les angles et composer un véritable « mouvement de caméra » qui lui permet d’éviter tout immobilisme. L’art du dessinateur de BD, ce n’est pas la réalisation de beaux dessins, mais la capacité de faire des images qui racontent.


Par ailleurs,
 ce dernier exemple prouve que les auteurs suivent des objectifs différents. Jean-Michel  Charlier raconte avec maîtrise un récit d'aventures, alors que Micheluzzi compose avec minutie la biographie d'un personnage hsitorique.


Le talent narratif de Victor Hubinon apparaît encore plus clairement dans les pages qui concernent un autre exploit célèbre de Mermoz. En essayant de trouver un itinéraire à travers la cordillère des Andes, l’aviateur est victime d’un problème mécanique et doit atterir sur une montagne. Cet épisode est raconté avec beaucoup de détails dans les 2 albums, et se révèle opportun pour faire une comparaison détaillée.

 

La première séquence nous montre les difficultés de Mermoz à prendre de l’altitude pour passer au dessus des montagnes. Micheluzzi nous montre les manœuvres acrobatiques de l’aviateur face à une véritable muraille montagneuse, et on a le sentiment que tout cela est complexe.

Hubinon raconte la même séquence avec plus de clarté. Il se place dans un plan presque fixe, et détaille les différentes positions de l’avion au cours de sa manœuvre, en utilisant habilement des lignes de mouvement. Le commentaire de Charlier devient presque secondaire, car l’image recrée le mouvement avec simplicité.

 A cause d’un incident de vol, Mermoz atterrit en catastrophe sur une corniche, et réalise qu’un retour à pied est impossible. Il doit redécoller avec son avion, ce qui va nécessiter de longues réparations. Il faut ensuite remonter l’avion plus haut dans la pente, afin de bénéficier d’une descente pour prendre de l’élan. Les deux dessinateurs utilisent presque la même succession d’images, avec d’abord un plan sur l’avion qu’il faut délester de tout le poids inutile. Micheluzzi explique tout cela avec un long récitatif.

La même scène, dessinée par Hubinon, est plus dynamique car l'action est commentée par les personnages.
Ensuite, ils nous montrent l’effort de Mermoz et de son mécanicien pour hisser l’avion au sommet de la pente. Micheluzzi choisit un gros plan sur les hommes qui souffrent du froid et de la fatigue.

Hubinon, de son côté, choisit un plan général qui nous laisse deviner l’effort surhumain que doivent accomplir les aviateurs pour hisser l’avion. Cette image se révèle tout aussi impressionnante derrière son apparente simplicité. Par ailleurs, elle me semble plus efficace d’un point de vue narratif.

Dernier exemple, la manœuvre de décollage acrobatique, qui voit l’avion décoller puis rebondir sur plusieurs plates-formes avant de trouver une vitesse suffisante. Micheluzzi illustre et commente séparément chaque saut, en essayant de créer une sorte de suspense.

 Hubinon, de son côté, se contente d’une seule image, qui présente le mouvement général avec une géniale évidence.

 Au final, il faut admettre que les mérites des deux ouvrages sont différents. Micheluzzi compose une biographie précise, au ton nostalgique, destinée aussi aux adultes, qui se caractérise par un souci de la vérité psychologique. Charlier et Hubinon relatent avec enthousiasme une épopée, construite sur des faits véridiques, mais destinée aux adolescents, et ils s’approprient la personnalité du héros qui devient une sorte d’archétype (car Mermoz ressemble finalement d’un point de vue graphique et psychologique à d’autres personnages d’Hubinon, en particulier à Buck Danny). Selon son goût, on préférera l’album dessiné élégamment en noir et blanc, présentant un pionnier combatif et désenchanté, ou le récit classique en couleur, au graphisme simple et efficace, montrant un héros légendaire et sans défaut. Micheluzzi est nostalgique, et privilégie les longs récitatifs pour éclairer la vie intérieure de son personnage, alors que Charlier et Hubinon racontent de manière optimiste les exploits et l’irrésistible ascension de leur personnage. Micheluzzi illustre avec un grand souci d’exactitude tous les événements de la vie de Mermoz, alors qu’Hubinon et Charlier choisissent de raconter de manière vivante une suite d’anecdotes révélatrices.

 

Je laisse à chacun le soin conclure en fonction de ses goûts, mais j’avoue ma nette préférence pour le Mermoz de Charlier et Hubinon. Derrière la naïveté apparente de leur récit, il y une habileté sympathique et un enthousiasme qui emporte le lecteur. Les auteurs nous ramènent vers des temps plus simples, à cette époque qui croyait à l'aviation, à ces illusions perdues qui confondaient le progrès technique et le bonheur, à ce mythe d'un héros pur, sans reproche et toujours vainqueur, à ce monde industriel qui est en train de disparaître, et qui est celui d'une Europe révolue.

Partager cet article
Repost0

commentaires

R
Euh ... aurais-je été excessif ? Non, dans le fonds, c'est bien cela. Lambil a dessiné une bonne série (les tuniques bleues) que j'ai apprécié pendant de nombreuses années, et qui s'est progressivement affaiblie à travers ses répétitions. Il a un dessin assez souple, facile à suivre, mais cela manque un peu de nerf, et depuis une vingtaine d'années (au moins), il n'a plus évolué. <br /> Ce n'est jamais un bon signe lorsqu'un dessinateur se contente de répéter son style. Les vrais artistes évoluent sans arrêt, même si cela ne plait pas aux lecteurs. Tiens ... cela me fait penser à Conrad ;-)
Répondre
T
Tiens, c'est rare que tu soies aussi négatif avec un auteur : tu ne dois vraiment pas aimer le travail de Willy ! Je suis d'accord avec le terme d'"artisan" et je crois que lui aussi.
Répondre
R
Lambil est au fond un bon artisan. Son principal mérite, je pense, est d'avoir su prendre la suite de Salvérius en douceur, en imposant progressivement son style. <br /> A ce moment là, il a bien saisi sa chance, car tout ce qu'il a fait auparavant me parait assez quelconque. Malheureusement, je trouve qu'il dessine "mou", si j'ose dire. La BD de Salvérius avait une dureté, et même pourrait-on dire une "méchanceté" qui convenait bien à ces histoires de guerre. Cet aspect s'est progressivement effacé avec l'ère Lambil.
Répondre
T
David > Si c'est juste pour décrier les déclinaisons de ces séries à l'infini ou au moins jusqu'à l'écœurement, alors je suis d'accord avec lui. je crois que j'ai découvert Menu dans "Marcel", le journal que Coucho avait essayé de lancer (il faudrait que je vérifie).<br /> Quel est le numéro de Spirou dans lequel tu as retrouvé le courrier de Menu ?<br /> (je m'"amuse" également, quand j'en ai le temps, à rechercher des "noms connus" dans le courrier des lecteurs, et en ai retrouvé quelques-uns (dont un collègue, qui avait gagné le droit de voir publier un dessin réalisé lors d'un concours organisé par les tubes de colle UHU dans Pif Gadget ! :-) )<br /> <br /> Raymond> "El Padre", "Bronco Benny", "Blue Retro" étaient parmi mes BD favorites quand j'étais jeune. Le dessin de Lambil était léger et vif. <br /> C'est après "Le David" (!) et "Black Face" que j'ai décroché... L'expo consacrée à Lambil à Perros Guirrec m'a beaucoup déçu. Sinon, il y avait aussi l'honnête série "Sandy et Hoppy"...<br /> Il faut dire qu'au temps de Salvérius, Cauvin ne bégayait pas encore ses scénarios ...
Répondre
R
Je ne sais pas vraiment ce que pense Jean-Christophe Menu de Charlier, mais il raconte en tout cas dans "Livret de Phamille" sa passion pour le journal Spirou. C'est presque un des meilleurs moments de l'album, d'ailleurs, lorsqu'il raconte ses fantasmes de collectionneur ;-) Et si je ne me trompe, Menu a également publié quelques planches dans Spirou, il y a une quinzaine d'années. <br /> Sinon, lorsqu'il critique les Schtroumpfs, je suppose que Menu évoque surtout la production récente du studio Peyo, qui prend un caractère industriel et qui n'a plus rien à voir avec le Schtroumpfissime.<br /> A part ça, je partage un peu les mêmes admirations que toi, Totoche, sauf peut être pour Lambil qui me parait être un dessinateur bien ordinaire (aïe ... je vais me faire incendier). J'ai toujours préféré les Tuniques Bleues dessinées par Salvérius.<br /> Et puis, il faut bien l'avouer, cet article sur Mermoz cherchait d'abord à rendre hommage au tandem Charlier & Hubinon. J'ai essayé de montrer leur habileté (on pourrait même dire leur roublardise) mais je me suis retrouvé un peu coincé, parce que j'aime bien aussi l'oeuvre de Micheluzzi (surtout Air Mail et Marcel Labrume). Je n'ai donc pas osé aller jusqu'au bout de la démonstration.<br /> Quand je la relis, cette chronique me semble un peu inachevée, mais j'ai bouclé ce sujet il y a maintenant quelques mois et je ne vais pas recommencer.<br /> Merci de vos remarques intéressantes, et vive Charlier :-)
Répondre