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3 janvier 2009 6 03 /01 /janvier /2009 14:20

A une époque où Franquin est sacralisé, où le moindre de ses croquis est religieusement collectionné, où ses dessins de monstres sont imprimés dans de beaux albums et ses « doddies » recueillis dans de luxueuses éditions, il vous paraîtra incroyable que j’aie pu faire la fine bouche devant certaines de ses œuvres principales. Mais voilà, il faut bien l’avouer, il existe certaines histoires de Spirou qui ne m’ont pas beaucoup plu pendant ma jeunesse. Parmi ces albums que j’ai dédaignés au moment de leur sortie, il y a en particulier Panade à Champignac.

 D’aussi loin que je me souvienne,  les critiques ont toujours considéré cet album comme une réussite. Franquin y parodie les artifices de sa série et prend congé avec ironie de son personnage. Située dans un château où il n’apparaît pas de danger réel, cette aventure pleine d’humour semble déconstruire les mécanismes habituels du suspense et on la considère aujourd’hui comme une sorte d’équivalent des Bijoux de la Castafiore. L’auteur y dessine des séquences d’une drôlerie irrésistible et cet album a mérité les éloges unanimes qui ont suivi sa publication mais malgré cela, l’intrigue ne m’a jamais vraiment convaincu. Dès la première lecture dans le journal, j’ai eu le sentiment que loin d’être un récit maîtrisé, cette œuvre était au contraire une tentative hasardeuse et un essai désespéré de renouvellement. Contrairement à Hergé qui réalise avec les « Bijoux »  une comédie de caractère et qui réussit à approfondir son univers, Franquin me semble chercher sa manière dans la « Panade ». Son intrigue alterne les moments de suspense et de parodie, ridiculise ses personnages et finalement se perd dans un processus qui ressemble à une autodestruction. En fait, j’ai toujours pensé que dans cet album, ce ne sont pas Spirou ou le comte de Champignac, mais plutôt Franquin qui s’est retrouvé « dans la panade ».

 

Lorsque je regarde ma bibliothèque et que j’y inspecte ma série d’albums Spirou bien alignés et toujours en bon état, je réalise que ces livres ne sont que rarement « d’origine ». Comme la plupart des livres d’enfant, mes premiers albums ont été manipulés sans précaution, abîmés, déchirés, démantibulés, rapiécés avec du scotch et, après qu’ils se soient éparpillés en plusieurs morceaux, remplacés par des éditions plus récentes. Il reste peu de « Spirou à dos rond » dans ma collection mais il y a tout de même Panade à Champignac, un vieil album presque immaculé, à la couverture pelliculée toujours brillante et aux pages non écornées. Le dos ne s’est même pas déchiré, preuve finale et accablante qu’il n’a presque pas été ouvert et qu’il est resté là pendant plus de 30 ans, mystérieusement intact et presque oublié.

 

C’est ce type d’album que j’aime aujourd’hui relire. J’y redécouvre souvent des trésors.

 

Pour Panade à Champignac, tout a commencé cependant de manière inhabituelle. En chinant chez un libraire de Lausanne, j’ai découvert dans les rayonnages un Spirou d’occasion dont la couverture m’était inconnue, présentant un format agrandi, et publié par les éditions Atlas pour accompagner une petite voiture de collection. L’agrandissement des pages et la vivacité des couleurs m’ont donné l’impression de lire quelque chose de nouveau. Je n’ai pas hésité à acheter ce nouveau livre pour me replonger avec délice dans cette histoire.

 Cela commence avec une scène de voiture que j’avais complètement oubliée. Elle est au fond assez méchante. Un camionneur contemple dédaigneusement la petite Honda que conduisent Spirou et Fantasio, et reçoit un coup vengeur du marsupilami en plein visage.

En apparence, ce n’est qu’un gag qui permet à Franquin d’utiliser la queue du marsupilami, mais cette agressivité envers un second rôle insignifiant m’apparaît aujourd’hui bien étrange. S’agit-il seulement d’un trait d’humour ? En fait, j’y soupçonne l’existence d’une colère rentrée, d’une violence qui ne peut s’exprimer que par le dessin. Panade à Champignac  est d’abord un festival d’humour, mais il y a aussi une satire et un humour grinçant qui correspondent à un virage dans l’œuvre de Franquin, et cela devient un moment destructeur. Le dessinateur revisite ses personnages avec un regard acide et on pourrait croire qu’il procède à un règlement de comptes. Victime des gaffes de Gaston, Fantasio est devenu acariâtre et il apparait continuellement en colère. Les gags se multiplient (on en trouve à chaque image) mais l’ambiance du récit est dominée par cette nervosité de tous les personnages.

A la sixième page, les héros quittent enfin l’univers de la rédaction, et on pourrait espérer que l’histoire va changer de style, qu’elle va retrouver le souffle de l’aventure. Franquin introduit quelques belles scènes champêtres et on sent venir le dépaysement.

 Il introduit ensuite une énigme et accumule les déclarations ambigües. On découvre des bruits inquiétants qui révèlent l’existence d’un mystère dans le château de Champignac.

Mais le suspense ne dure pas, puisque Spirou et Fantasio découvrent aussitôt Zorglub dans un parc à bébé, revêtu d’une couche culotte, et pleurant comme un nouveau-né. En fait, cette envie de remonter aux sources de son personnage est le véritable sujet de l’histoire, et Franquin semble maltraiter avec délice son maléfique savant.

 Cette agressivité a certainement un sens et pour l’expliquer, je vais vous imposer un petit rappel chronologique. Franquin rêvait en fait depuis longtemps de cette histoire, et il a même commencé à la dessiner tout de suite après avoir terminé l’Ombre du Z, en 1960. Voici comment il explique son idée initiale à Numa Sadoul, dans son fameux livre d’entretien publié en 1986.

 

« J’avais un projet relativement ambitieux qui était de montrer Zorglub à l’état de bébé, soigné par Champignac, puis se retrouvant progressivement aux différents stades de l’évolution normale, à des âges mentaux successifs, au fur et à mesure de la progression de son cerveau, jusqu’au moment où il redevenait dangereux. Par exemple, il retournait à l’école primaire, puis au collège etc.… Mais ce projet était trop ambitieux pour moi parce qu’il nécessitait trop de documentation. J’avais prévu de faire redevenir Zorglub dangereux d’une manière amusante : il allait à la pêche à vélo, comme un gamin et, un jour, on le voyait installer une petite dynamo sur le pédalier, la canne à pêche verticale devenait une antenne, et il se remettait à appeler sa base secrète existant encore … »

 

Ayant cette trame en tête, Franquin commence à dessiner une première version de la « Panade », qu’il intitule alors « QRM sur Bretzelburg ». Cela commence avec une série de gags. Le marsupilami avale un appareil de radio, comme si c’était un caramel, et s’enfuit en ville où il provoque une série de catastrophes. Sur le bandeau en titre du journal, le visage de Zorglub figure logiquement aux côtés de ceux de Spirou, Fantasio et Champignac, puisqu’il est véritable héros de l’histoire. A posteriori, je réalise que son expression ahurie dévoile déjà les intentions de l'auteur.

 Franquin est toujours resté évasif sur les avatars qui ont suivi ces premières planches, mais ils ont été raconté de façon précise par Greg (dans les CAHIERS DE LA BANDE DESSINEE  N° 47-48). Voilà ce qu’il nous dit: « Il avait donc dessiné quelques planches et était allé les porter à Dupuis. L’éditeur, très content, lui a dit : C’est bien, mais que va-t-il arriver ? Franquin lui a raconté l’histoire en commençant par « c’est Zorglub qui… » et Dupuis l’a arrêté par un « Non, Zorglub on vient d’en prendre deux histoires de suite, je n’en veux plus. » Franquin, pris au dépourvu, a fait un premier brain storming avec Peyo, Roba et Delporte. (…) Le lendemain, il m’a appelé pour me demander si je n’avais pas une idée. Il m’a raconté l’action des quelques planches qu’il avait dessinée, et j’ai eu le déclic. Pourquoi ne pas faire du transistor avalé par le marsupilami un émetteur-récepteur ? (…) J’ai ensuite trouvé l’histoire du petit roi enfermé dans son château qui correspond avec un radio amateur et du marsupilami qui, lui, émet des parasites. Ca a donné QRN sur Bretzelburg ».

 

Sans Zorglub, la  réalisation de ce nouvel épisode se déroule mal. Après avoir été relancé par le scénario de Greg, Franquin éprouve des difficultés à dessiner les décors du château. Dès la 20ème page, le journal ne publie plus que des demi-planches, puis le dessinateur s’arrête à la 26ème page. Voilà ce qu’il raconte à Numa Sadoul : « un jour, environ vers le milieu de l’histoire, j’ai fait une espèce de déprime parce que je me suis complètement bloqué du côté du dessin. (…) je me suis trouvé brusquement incapable de réaliser un décor, je me suis mis à tourner en rond pour faire les meubles d’une pièce, je n’ai plus senti le courant passer, et je me suis arrêté. ». Les lecteurs de SPIROU vont attendre plus d’un an avant de connaître la suite de l’histoire.

 

Malgré ces accidents de parcours, QRN sur Bretzelburg est une réussite totale. Cependant, un ressort créatif s’est cassé en réalisant ce petit chef d’œuvre, et Franquin attend trois ans avant de redessiner un nouvel épisode avec Bravo les Brothers. Cette farce charmante, qui met en vedette un trio de singes, n’est au fond pas une véritable aventure, puisque l’auteur nous propose une suite de gags situés dans le petit monde de la rédaction Dupuis, en présence bien sûr de l’inévitable Gaston. C’est en 1967 seulement (donc sept ans plus tard) que Franquin reprend son idée de raconter la « seconde enfance » de Zorglub. Il est alors devenu l’auteur à plein temps de Gaston et semble s’être détaché de ses autres personnages. Son histoire prend un ton sarcastique et on peut se demander ce qui l‘intéresse encore chez Zorglub ? Dans Panade à Champignac, l’auteur prend un malin plaisir à ridiculiser le savant en nous le présentant mal rasé et geignard. Le créateur des zorglhommes a perdu son élégance inquiétante tandis que Champignac lui donne le biberon, lui fait faire un rot, lui change ses couches puis le promène dans une poussette.

 Pourquoi Franquin détruit-il ainsi le personnage fascinant qu’il avait créé ? Il faut en effet rappeler combien l’apparition de ce scientifique inquiétant a donné à Z comme Zorglub ou à l’Ombre du Z une intensité dramatique que la série n’avait jamais pu atteindre auparavant. Emblème d’une modernité sans conscience aussi bien que scientifique gaffeur, Zorglub a été une des grandes créations du dessinateur. C’est en fait son meilleur « méchant », un véritable équivalent d’Olrik, de Rastapopoulos ou d’Axel Borg, un personnage qui peut créer de véritables situations à suspense. Charles Dupuis n’aimait pas Zorglub, et l’idée de sa réapparition pouvait représenter un geste de défi de la part de Franquin, mais il ne se contente pas de cela. Il dénature avec férocité l’image du savant et cette espèce de jeu de massacre me semble relever d’un autre phénomène. On sait aujourd’hui qu’il n’appréciait plus de dessiner Spirou et ce pensum a dû générer une sourde colère, celle justement que je décèle dans son dessin. Je crois qu’il y a aussi une rage qui le pousse à détruire l’univers qu’il a créé et ses personnages en souffrent. Le comte de Champignac apparaît ainsi fatigué et débordé, Fantasio est au bord de la crise de nerf et le marsupilami part bouder dans un coin, réduit à l’état de comparse. Couché dans son landau, Zorglub parait soudain réaliser cette situation, car un léger choc sur la tête lui permet de retrouver sa lucidité. On pressent qu’il pourrait être à nouveau redoutable, mais Franquin lui règle rapidement son compte.
                                         Suite 

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commentaires

R
Serait-ce la BD qui nous maintient en enfance ?
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T
Comme Zorglub, tu ne fais pas ton âge, Raymond.<br /> <br /> Totoche (et Gaston) ;-)
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R
Au sujet de l'antenne, merci de ta remarque complémentaire, Julien (nos posts sont partis en même temps). <br /> Il faudra quand même que je relise Tora Torapa ;-)
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R
Mais ... j'ai plus ou moins lu tous les albums de Fournier ! J'ai dû mal m'exprimer ??<br /> L'ankou, en tout cas, est un excellent album (le meilleur à mon goût, avec le Gri-Gri). Tora-Torapa, au contraire, me semble très moyen.<br /> Kodo le tyran, je l'ai parcouru en diagonale lorsqu'il paraissait dans Spirou, sans y accorder beaucoup d'intérêt. Il faudrait que je lise l'album et sa suite (que je possède, d'ailleurs, c'est le comble ...)
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J
Un dernier mot,Raymond,pour te recommander "Le gri gri du niokolo-koba"de Fournier;si ses débuts furent laborieux(il débutait,avec la fraicheur,l'enthousiasme et les lacunes de sa jeunesse)il a toujours fui la facilité ou le copier/coller,par intégrité,je le crois(écriture,dessin,mise en scéne...)heureuses lectures à toi!
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