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31 mai 2008 6 31 /05 /mai /2008 14:00

Pendant toute mon enfance, la montagne a été un lieu de vacances. La marche est un loisir démocratique, bon marché et facilement accessible aux classes populaires, et chaque week-end, je suivais ma famille qui faisait l’ascension du Salève. Cet exercice plutôt pénible pour l’enfant que j’étais me laisse aujourd’hui un souvenir enchanteur.

 

J’ai passé mes vacances d’étés dans diverses vallées alpines, mais mes meilleurs souvenirs se situent dans le Val d’Annivier. C’est là qu’en 1969, après 3 heures de marche en partant de Zinal, mon frère et moi avons découvert l’hôtel Weisshorn. Nous pensions pouvoir y manger et boire quelque chose, mais au lieu d’un véritable hôtel, nous avons découvert une étrange bâtisse abandonnée à 2000 mètres d’altitude, au milieu des alpages.

 

Les portes et les fenêtres étaient toutes verrouillées, mais un volet mal fermé du rez de chaussée nous a permis de pénétrer dans l’hôtel. Les pièces étaient meublées et remplies d’objets divers, mais tout était vieillot et couvert de poussière.

 

Cet immeuble abandonné était bien mystérieux, mais nous n’étions pas venus pour cela. Nous voulions un restaurant, et l’excursion était plutôt ratée. N’ayant emporté aucun pique-nique, nous sommes redescendus très penauds vers Saint-Luc pour y trouver un repas. Un an plus tard, cette mésaventure était presque oubliée, lorsque le journal Tintin a commencé la publication d’une nouvelle histoire de Lefranc.

 

Le dessin de la couverture ne révélait rien de spécifique, mais dès les premières planches du Repaire du Loup, j’ai reconnu les paysages anniviards typiques. Il y avait les lacets de cette route qui monte pour accéder à la vallée principale, l’image du barrage de Moiry en fin de construction, et surtout cette dangereuse route qui suit la vallée à flanc de montagne.

Puis  Lefranc arrivait en face de l’énigmatique hôtel perdu en pleine montagne. Les lieux étaient reproduits avec une précision photographique et le doute n’était plus permis. Cette histoire se passait autour de l’hôtel Weisshorn.

Jacques Martin  a plusieurs fois raconté comment est née l’idée de ce récit. Pendant un séjour à Saint-Luc, il a vu cet étrange bâtiment isolé en altitude, et a cherché à comprendre d’où venait cette construction. Il imagine alors un anglais fortuné pendant les années 50, nommé Thomas Hearn, qui est fasciné par le « Val d’Annifer » et décide promouvoir le tourisme et les sports d’hiver.

Pour faire fonctionner cet hôtel isolé, il faut un système de transport. Hearn décide de construire un téléphérique.

Hélas, l’autorisation de construire n’arrive pas. Thomas Hearn s’endette parce que les banques refusent de lui faire crédit et il doit vendre tous ses biens. Il donne de l'argent à Valadin, le maire de Saint-Loup, qu'il fasse les démarches nécessaires et obtenir enfin l'autorisation.

 

Mais Valadin trompe l’anglais, et garde l’argent pour d’autres projets. Hearn se retrouve ruiné et se suicide. Sa famille repart en Angleterre, mais des années plus tard, ses enfants décident de se venger. Ils reviennent travailler dans la vallée, et occupent à nouveau l’hôtel abandonné.

Et c’est à ce stade que débute le récit. Des attentats se multiplient dans la vallée. Chacun d’eux est signé de la même marque.

Valadin ne veut pas que la police fasse une enquête. Il fait appel à Lefranc, et celui-ci s’intéresse aussitôt à l’hôtel isolé en pleine montagne.

 

Lefranc part dans la montagne pour explorer l’hôtel, et l’aventure commence. C’est l’occasion pour Jacques Martin et Bob de Moor de composer une superbe scène d’alpinisme.  

Lefranc va rapidement découvrir le secret des anglais, et dans le fonds, il n’y a pas de grand suspense. Le récit s’attarde sur une ascension difficile et perturbée par la neige, puis l’exploration de l’hôtel abandonné, et cette lenteur de l’intrigue donne une impression de vécu. L’auteur semble préférer décrire ce petit monde valaisan et cette évocation dégage une atmosphère de vacance. L’histoire regorge de petits détails vrais, et retrouve ces moments typiques d’une course de montagne. Il y a par exemple la première nuit dans une rustique chambre d’hôtel, à l’intérieur entièrement boisé, sans autre loisir que la lecture.

La montagne exige des efforts et de la sueur, mais procure en retour une émotion particulière, ainsi que des petits plaisirs simples. Le bonheur apparaît par  exemple dans un abri en haute altitude, auprès d’un bon feu. Jacques Martin raconte manifestement quelque chose qu’il a bien connu.  

A ce stade, il faut saluer la performance de Bob de Moor qui illustre avec talent cet univers montagnard. On sait qu’il a longtemps collaboré avec Jacques Martin, et la complicité entre eux est évidente. Dans cet album, il abandonne son style rond et ses personnages schématiques et dessine sans effort apparent un Lefranc crédible, semblable à celui du Mystère Borg. Tout en respectant les leçons de la ligne claire, Bob De Moor introduit des personnages réalistes dans ses décors méticuleusement détaillés, et la synthèse est parfaite. On découvre à chaque page des paysages anniviards typiques, et son trait souple et précis illustre avec bonheur la simplicité sauvage et le romantisme du pays valaisan.

Le caractère intimiste de cette histoire révèle une facette moins connue de l’œuvre de Jacques Martin. On connaît bien sûr la richesse d’imagination, la sûreté de son métier et la rigueur de ses dessins, mais on oublie souvent la passion qui anime ses personnages, et une vision romantique du monde. Il y avait bien dans le Mystère Borg certains dialogues révélateurs, ou quelques confidences personnelles d’Axel Borg qui soulevaient un coin du voile, mais c’est avec cet album que l’auteur abandonne pour la première fois la fascination de l’aventure et du récit fantastique pour mieux s’attacher au monde quotidien. Il multiplie les vignettes contemplatives, quitte à ralentir l’intrigue, pour mieux célébrer la beauté d’un paysage ou la chaleur d’une ambiance. Il faut aimer la montagne pour retrouver une telle authenticité.

A la fin du récit, Lefranc contemple une automobile qui emmène des promoteurs immobiliers vers la conquête de la vallée. Il constate que les « petits rapaces vont devoir affronter les gros », et cette prédiction s’est malheureusement aussi vérifiée dans la réalité. Dans une interview récente, Jacques Martin remarque que 30 ans après, le village s’est étendu, que les alpages sont sillonnés de routes, et que les alentours de l’hôtel sont difficilement reconnaissables. Le Val d’Annivier est un lieu touristique où il est bon d’avoir une résidence secondaire, et ce lieu autrefois sauvage s’est partiellement urbanisé.

La montagne n'est plus une aventure, mais je retourne encore une ou deux fois par an arpenter les sentiers anniviards pour y retrouver les émotions de mon enfance. L’air n’y est plus aussi pur, certains chemins de terre sont asphaltés, et les sapins sont parfois malades, mais la beauté des sommets reste intacte. Et lorsque je repars vers la ville, les jambes fatiguées et la tête reposée, je pense à cette vie simple que menaient nos grands-parents. Le temps a passé et les souvenirs s'effacent, mais il me reste cet album qui a capturé l'atmosphère d'une époque, et qui célèbre la montagne comme un paradis.

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commentaires

R
J'ai tellement relu cet album que je ne suis plus très sûr de mes premières impressions. Il me semble en tout cas que j'ai vraiment apprécié le récit lorsque j'ai pu le lire en entier.
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P
j'étais un jeune homme (18 ans)lorsque j'ai découvert cette histoire dans le journal Tintin,j'ai eu ainsi le plaisir de la lire en feuilleton,j'ai beaucoup aimé le récit et charmé par le dessin qui est l'oeuvre de Bob de Moor,il a fallu attendre quatre ans (un peu long) pour le voir paraitre en album chez Casterman , je n'ai guère tardé à l'acheter c'était en 1974.J'ajoute que bien j'aimais alors les histoires de Lefranc, celà ne me déplaisait que l'histoire soit différente des précédentes
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T
Je n'ai pas osé essayé ...<br /> De loin, ça avait l'air pas mal, mais les "Caroline Baldwinn" me laissent froid et j'ai par contre été échaudé par la piteuse version de Carin, achetée lors d'un moment de faiblesse ... J'ai honte ... <br /> Pourvu que les copains de la confrérie ne lisent pas ce commentaire, sinon je suis fini ... ;-)<br /> Il parait que c'est de Kuysche qui a écrit le dernier épisode ... Faut voir ...
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R
Les albums dessinés par Chaillet sont également intéressants, même si la réduction au format 44 pages amoindrit la force de certaines histoires. <br /> Et puis, il y a les derniers albums dessinés par Taymans qui sont un véritable "revival" de la Ligne Claire
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T
J'ai découvert Lefranc très, très tard, en achetant un recueil Rombaldi, regroupant les premiers titres, pour une bouchée de pain.<br /> C'était génial de découvrir si tard ces histoires vieillottes admirablement bien dessinées dans un style "ligne claire".<br /> Un peu comme si j'avais découvert un "Tintin" ou un "Blake et Mortimer" ("La Grande Menace" en particulier) que je ne connaissais pas !
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