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28 juillet 2008 1 28 /07 /juillet /2008 10:17

Il y a des œuvres intimidantes que tout le monde mentionne, mais qui sont peu lues. Elles réunissent l’originalité du sujet, l’intelligence du scénario, l’habileté de la mise en page et la subtilité des références graphiques, à tel point qu’il faut un peu d’inconscience pour oser les commenter.  Parmi ces classiques imposants, il y a les grandes séries pionnières de la BD américaine comme Gazoline Alley, Krazy Kat ou Little Nemo.

 

J’ai longtemps cru que Little Nemo était une simple suite de gags en une planche, dans laquelle un jeune garçon fait des rêves incroyables avant de se réveiller brutalement dans son lit. La première édition française (chez Horay en 1969) rassemblait des pages de différentes époques, souvent en noir et blanc, et la découverte de cet album n’avait pas démenti ma fausse impression. Ensuite, l’éditeur Milan a réédité en 1989l’intégrale chronologique de Little Nemo à Slumberland, correspondant à la première époque de la série (1905 à 1911) et aussi à ses meilleures années.
J’ai d’emblée été fasciné par la qualité de l’édition et la reproduction fidèle des couleurs, mais j’ai surtout découvert que la série nous conte une véritable histoire. Cette continuité narrative entre les planches donne à cette œuvre une dimension qui dépasse l’anecdote des rêves successifs. Elle construit une épopée, et raconte la conquête du monde des rêves, mais la meilleure façon de l’expliquer, c’est encore de raconter le début de l’histoire

 

Imaginez que le pays des rêves soit un royaume nommé Slumberland. Le roi Morphée a une fille qui s’ennuie toute seule et qui souhaite avoir un camarade de jeu. Le roi envoie donc un serviteur pour rechercher un petit garçon américain nommé Nemo.

 

Nemo monte sur le cheval que lui amène l’émissaire du roi. Il s’envole dans le ciel mais de multiples obstacles se dressent sur son passage, et il tombe dans le vide.

C’est un simple gag, me direz-vous, mais l’histoire se poursuit. Morphée envoie un autre serviteur afin de ramener Nemo.

Malheureusement, Nemo se perd cette fois dans la forêt de champignons…

… et ainsi de suite. De semaine en semaine, pendant plusieurs mois, Nemo continue ses tentatives pour rejoindre Slumberland. Il essaie par les airs, par un souterrain, par des chemins de traverse ou sur la mer, son lit se transformant alors en bateau.

Au cours de ses voyages, il rencontre successivement la reine de Crystal, le Marchand de sable, le Père Noël puis le Maître du temps. L’imagination de McCay parait sans limite, et j’aime cet épisode où Nemo se perd dans les méandres du temps.

Lorsque Nemo arrive enfin à Slumberland, les portes sont malheureusement closes. Il est arrivé en retard et doit attendre toute la nuit. 

Ce moment est important, car dès cette image, McCay va continuer son histoire en faisant le lien d’une page à l’autre. La première image de la semaine suivante reprend Nemo dans la situation où l’avait laissé l’auteur. Il est toujours assis sur les escaliers et les portes de Slumberland s’ouvrent enfin.

Toute équivoque disparait. Même si McCay maintient à la fin de chaque page la petite case montrant Nemo qui se réveille, il nous raconte en fait une aventure qui se déroule dans le monde imprévisible des rêves. A ce stade, notre héros n’a pas encore rencontré la princesse, et l’histoire se poursuit. Il faut traverser le palais pour rencontrer le roi Morphée, et un nouvel adversaire veut l’en empêcher. Il s’appelle Flip, et ce garçon vaniteux et jaloux comprend rapidement que le meilleur moyen de réduire Nemo à l’impuissance, c’est de provoquer son réveil. Les malheurs de Nemo se poursuivent mais, après 9 mois de péripéties, il arrive enfin en face de la princesse.

Ce « happy end » aurait été une belle manière de finir de la saga, mais elle ne fait que commencer. Nemo et la princesse décident de voyager dans le pays des rêves, et Flip part à leurs trousses. McCay redouble d’imagination et nous fait découvrir les paradisiaques jardins du roi, puis le palais du Bonhomme Hiver.

Nous sommes en février 1907, et même si le feuilleton n’est pas terminé, vous avez maintenant compris l’essentiel. Little Nemo est une fiction de longue haleine, qui raconte au départ une quête improbable et parsemée d’obstacles (afin de rencontrer la princesse). Par la suite, l’objectif devient simplement la découverte du monde merveilleux et irrationnel de Slumberland. La référence initiale semble être le récit d’Alice au pays des merveilles, qui présente le même décor perpétuellement changeant, mais le récit s’organise en fait en grands cycles, qui commencent et se terminent au palais de Morphée. L’univers va progressivement se construire, avec des personnages secondaires bien typés, des dangers récurrents (l’irruption du soleil déclenchée par Flip) ou la réapparition périodique de certains thèmes. Nemo retrouve ainsi des personnages mythiques (le père Noël, Jack Frost) et participe parfois aux mauvaises farces de Flip. Mais surtout, il affronte un monde capricieux, aux dimensions changeantes, rempli d'objets qui s’animent, tel que le lit de Nemo dont les pieds s’allongent et se transforment en échasses.

 
SUITE

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commentaires

R
Effectivement, il a découvert tout ce que l'on pouvait faire avec la BD, il y a déjà un siècle. J'essaie d'en donner un aperçu dans la 2ème partie, mais il n'a pas été facile de le résumer.<br /> Little Nemo, c'est une série que l'on peut relire sans arrêt. Son intérêt ne faiblit pas avec le temps.<br /> Je n'ai pas parlé de la dernière édition en tout grand format (qui retrouve la taille des pages du journal) car je ne l'ai pas encore achetée, mais cela en vaut sûrement la peine.
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T
Ce qui me parait dingue, c'est que Mc Cay a déjà tout inventé à l'époque. <br /> Il faudra attendre Chris Ware pour voir apparaitre de nouvelles inventions narratives significatives.<br /> (Bon j'exagère, mais à peine ...)
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