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3 mai 2009 7 03 /05 /mai /2009 14:39

L’arrivée massive de réfugiés politiques ou économiques est un problème désespérant que les pays européens se montrent incapables de gérer. Je n’essaierai d'ailleurs pas de paraître intelligent plus intelligent que les autres en face d'un phénomène qui engendre polémiques et frustrations. L’inefficacité des décisions politiques et les drames vécus par les immigrants me conduisent à penser qu’il est impossible de freiner cela et qu’il nous faut subir cette révolution silencieuse. Un intéressant film suisse, intitulé la Forteresse, raconte avec subtilité le parcours du combattant qu'affrontent les demandeurs  d’asile, ainsi que les ruses juridiques ou le désarroi des fonctionnaires qui doivent séparer les « vrais » des « faux » réfugiés.

Au fond, il  est plus simple de s’intéresser aux individus et de réagir avec son cœur que de mettre en œuvre des directives abstraites dans la réalité quotidienne. C’est un peu la morale qui se dégage de cet admirable livre qui s’intitule « La jeune fille et le nègre », dessiné par Judith Vanistendael.


C’est l’histoire d’une étudiante belge, prénommée Sofie, qui tombe amoureuse d’Abou, un togolais demandeur d’asile. Ils se rencontrent dans un centre pour réfugiés à Bruxelles, et affrontent ensemble les décisions arbitraires et les tracasseries administratives qui accablent quotidiennement la vie des immigrants. L’originalité de ce récit, c’est d’être raconté par le père de Sofie, un journaliste aux idées libérales  qui ne peut pas faire autrement que de réagir d’une manière  émotionnelle en face de cette liaison.


Abou devant quitter l’établissement d’accueil où il réside, Sofie demande à son père de l’accueillir dans sa propre maison. Celui-ci accepte de mauvaise grâce, mais cette cohabitation lui permet de découvrir progressivement la personnalité attachante du nouveau venu. Face à un père renfrogné qui se sent dépassé par les événements, Abou se montre humain, sympathique et débrouillard.


Peu à peu, Abou s’intègre dans la famille et sympathise avec tout le monde. La procédure d’asile suit toutefois son cours et sa demande finit par être refusée. Les  procédures de recours se révèlent désespérantes et  le père découvre « de l’intérieur » les règlements tatillons et les fonctionnaires implacables qui dirigent le quotidien des immigrés.


Après quatre ans de procédure, Abou et Sofie ne disposent plus que du mariage comme dernier recours.  Le père y est hostile mais il se sent incapable de s’y opposer.  La vie et l’humain prennent le pas sur ses principes et son univers bascule.


Ce livre présente ainsi la vie d’un demandeur d’asile, mais son intérêt provient d’abord d’un scénario habilement construit, qui s’attache aux rapports entre les individus. C’est histoire classique de deux personnes qui proviennent de mondes étrangers, et qui affrontent successivement la méfiance, l’incompréhension et la crainte avant de se reconnaître. Admettons-le, cette trame de la découverte de l’autre est souvent exploitée par des téléfilms médiocres ou des œuvres bien pensantes que l’on oublie rapidement, mais Judith Vanistendael  dépasse  ce stade de la « bonne confection » grâce à l’authenticité de son récit. Son œuvre est en fait autobiographique, car elle a vécu elle-même une liaison puis un mariage avec un africain, et elle adapte en bandes dessinées un récit écrit par son père, intitulé Nouvelles de la Citadelle (Bericht uit de burcht). En racontant son expérience, elle évite le pittoresque facile ou le militantisme fatiguant, et compose une histoire vivante, nourrie de sentiments vécus et enrichie de petites notations qui résonnent juste.

Le charme de cette BD provient également de son style. Le dessin souple et expressif de Judith Vanistendael, qui est centré sur les personnages, semble dédaigner tout effet décoratif. Les visages apparaissent caricaturaux mais ces physionomies illustrent avec finesse un récit qui  recherche l’humour et l’authenticité du quotidien. La plupart des dessins semblent rester au service des dialogues, mais elle sait varier sa mise en page et compose aussi de belles planches muettes. On découvre ainsi quelques séquences nocturnes ou des paysages tracés d’un pinceau épais qui révèlent une maîtrise indiscutable du noir et blanc.


Je sais peu de chose sur Judith Vanistendael qui n’a publié que cet album jusqu’à ce jour. Quelques unes de ses BD sont parues dans des revues flamandes, comme Ink ou Demo, et elle a fait des illustrations pour des livres d’enfants. Son site Web, de même que The Ephemerist, permettent de découvrir des échantillons de son œuvre,  et je vous conseille de voir ses interviews filmées sur le Web (1,2) pour mieux la découvrir. La jeune fille et le nègre a été retenu dans la sélection officielle 2009 d’Angoulême, ce qui me semble relever de la plus élémentaire justice.


Précisons encore que ce livre, sous titré « Papa et Sophie », constitue la première partie d’un diptyque. Dans l’interview d’Angoulême, Judith Vanistendael explique combien elle avait été fâchée du récit que son père avait écrit sur sa propre histoire. Elle a ainsi décidé de l’adapter de deux manières en BD, d’abord à travers le regard de son père qui découvrait le monde des réfugiés, et c’est le scénario qui correspond au premier livre, puis avec les souvenirs de sa relation amoureuse et ceux-ci  paraîtront dans un deuxième volume. La colère pourrait-elle devenir une bonne conseillère ? Cette seconde partie, qui devrait être publiée dans un an ou deux, nous promet en tout cas un intéressant contraste.

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commentaires

R
Oui, c'est difficile de s'intéresser aux nouveautés dans cette masse de publications. J'ai la chance de fréquenter une bibliothèque qui possède un vaste catalogue de prêt, et qui contient aussi les nouveaux auteurs. C'est ainsi que de temps à autre, je découvre des oeuvres intéressantes.<br /> <br /> Sinon, les compliments ne me gênent pas ;-)
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J
Plus ça passe et plus je reste d'abord attiré,par le dessin certes,mais le trait particulièrement beau ici;<br /> Alors raison de plus pour te remercier de ces "mises en lumière" de livres de plus en plus noyés sous la masse;quand on ressent un écoeurement tel qu'on n'achète plus grand chose-à part les Guibert,Blutch(...)annuels-tes papiers,trés finement pensés,sont trés trés agréables;et plus ça passe,plus tes "lectures" sont passionnantes-c'est trés élogieux,pas grave,j'assume cette tartine de compliments-Bravo Raymond!
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